La Convention d’Oviedo : un univers de possibilités

Univers

Au printemps de l’année 1997, une réunion particulière se tint à Oviedo, dans le nord de l’Espagne. Les uns et les autres se penchèrent sur un document qu’il s’agissait de signer : c’était le 4 avril, et on examinait la Convention sur les Droits de l’Homme et la Biomédecine. Le texte, dans l’air du temps, portrait l’élan d’une condamnation : il entendait réguler, avec force et raison, l’intervention sur le génome humain, en articulant plusieurs conditions. Il fut signé : étudions son contenu. « Les interventions sur le génome humain ne peuvent être entreprises que pour des raisons préventives, diagnostiques ou thérapeutiques et seulement si elles n’ont pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance. » Le Conseil de l’Europe, artisan du texte, semblait à première vue bien informé ; dans son rapport explicatif attaché à la Convention, il y était stipulé ceci : « Un mauvais usage de ces évolutions pourrait faire courir un danger non plus seulement à l’individu, mais à l’espèce elle-même ». Le document fut signé 15 ans avant que Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier ne fassent entrer l’ingénierie génétique par la porte des très grandes découvertes pour l’humanité : CRISPR-Cas9 devint une réalité en 2012, et leur valait un lot de médailles ; Nature et l’institution des Nobels avaient-elles lu le texte d’Oviedo, et furent-elles rassurées ?

La Convention considère comme approprié d’intervenir sur le génome humain pour « des raisons préventives », c’est-à-dire chez des personnes en bonne santé, à la condition qu’il s’agisse de prévenir le risque de survenue d’une « maladie ou d’une affection », selon le rapport explicatif ; or, ces précisions ne sauraient se départir de leur corollaire : que prévenir d’autre que l’affection finale, la mort ? Qu’est-ce qui importe plus au dernier Homo que sa survie, dopé par les tendances comportementales et instinctuelles ? La longévité et la santé des individus sont le lieu d’une vaste translation par rapport à celle de leurs ancêtres : la définition de maladie ou d’affection n’a plus rien en commun ; elle évolue avec les siècles : mourir prématurément pour un Européen en 2025, c’est dépasser plusieurs fois l’espérance de vie des chasseurs-cueilleurs ou des clercs des sociétés féodales.

La vie entière, n’est-elle pas la parenthèse qui précède la mort, et que Sapiens étire de toutes ses forces ? Dans cet interstice, peuplé de gènes, le vivant a élu domicile : les produits de la sélection infligée aux lignées biologiques pendant des milliards d’années, sauraient-ils se répliquer avec raison, en appliquant scrupuleusement les lignes d’une convention bien écrite ? Qu’est-ce qui n’est plus une affection ? La vie de nos ancêtres est maintenant considérée comme une condition insalubre, une vie entière d’affections. L’état nutritif et carentiel des populations européennes médiévales correspond à la malnutrition au XXIe siècle : la bonne santé d’aujourd’hui est la maladie de demain. Alors, l’intervention sur le génome humain n’a plus de limites : elle court après Sapiens, qui fuit les affections, jusqu’à l’extrémité de sa branche.

Et qu’en est-il de la seconde condition du document du Conseil de l’Europe, voulant que l’intervention sur le génome humain n’ait « pas pour but d’introduire une modification dans le génome de la descendance » ? Cela signifie-t-il que, si le but premier est de traiter ou prévenir une affection, et que la variation induite est transmise à la descendance comme un effet collatéral, alors les conséquences héréditaires sur toute une lignée sont conformes aux exigences du texte ? Finalement, à Oviedo, que n’a-t-on pas permis ? Le texte a-t-il d’autre mérite, sinon celui d’exister sans rien changer ? On y stipule que « les développements dans ce domaine peuvent apporter de grands bénéfices à l’humanité » : à quel genre de grand bénéfice Sapiens se prépare-t-il, ciseaux moléculaires à la main, jardinier parmi le vivant ?

Référence

Conseil de l’Europe. Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention d’Oviedo), Oviedo, 4 avril 1997, ETS n°164. Lien vers la convention

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