Les travaux de Jason Riggio de l’université de Californie Davis publiés en 2020 nous enseignent ceci : 48% à 56% de la surface terrestre non recouverte par les glaces sont soumises à une faible influence humaine. Le reste, environ la moitié du globe, est le lieu de l’influence soutenue de Sapiens : les infrastructures dédiées à notre espèce, les terres cultivées, les axes routiers sculptent la biosphère. Les régions totalement intactes se résument à quelques pour cent. Les conditions semblent idéales pour Sapiens : à loisir, il se regroupe ; à loisir, il étend les murailles de sa tanière. Pourtant, un paradoxe se produit. Alors que la santé des populations s’est prodigieusement améliorée, alors que la mortalité précoce a reculé avec l’afflux de technologie au sein des sociétés, alors que dans son nid urbain, il met en présence par millions les individus de sexe opposé, alors même qu’une proximité génétique considérable les rapproche, sans barrière biologique, anatomique ou comportementale à leur reproduction, les taux de fertilité dégringolent et les démographes s’épouvantent. Dans cet environnement favorable, ce biotope synthétique sur-mesure né de notre propre ingéniosité, garni d’une abondance exceptionnelle de ressources, nos réplicateurs, soudain, rechignent à se multiplier.
D’après l’étude World Population Prospects 2022 publiée par les Nations Unies, une femme en 1965 mettait au monde en moyenne cinq enfants vivants : cette métrique définit le taux global de fertilité dans le monde. En quelques décennies, il s’est effondré à moins de la moitié de cette valeur, entraînant avec lui la croissance de la population humaine. D’après les données publiées par les Nations Unies, en France, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, l’âge moyen des femmes lors de leur mariage était de 25 ans ; le nombre de naissances au décours était de six à sept. À la même époque, en Angleterre, l’âge au premier mariage était lui aussi de 25 ans, et une femme donnait naissance à cinq à six enfants ; en moyenne, parmi ces enfants, deux à quatre mourraient prématurément. Lors de leurs naissances en 1809 et 1822, Darwin et Mendel furent livrés à un monde où les maladies infectieuses pédiatriques ravageaient les familles ; le premier en fit l’expérience personnelle : sa fille Anne décédait à l’âge de 10 ans, Mary à celui de 23 jours, et Charles à 18 mois. Un bouleversement culturel et démographique était pourtant à l’œuvre, et leurs apports scientifiques y ont probablement contribué. Leur siècle fut celui du déferlement de facteurs inédits, venant se mêler au destin de notre espèce : l’éducation, la science, la médecine, les révolutions sociales, la technologie. Les sociétés les plus modernes, plongées dans le bain de l’Anthroposphère à l’image de cultures bactériennes dans le milieu enrichi d’une boîte de Pétri, furent arrosées d’énergie, chauffées et bien nourries. Mais les dynamiques démographiques du primate industriel se sont écartées de la trajectoire des populations microbiennes : alors que les secondes prolifèrent en présence de conditions favorables, le premier a au contraire vu le taux de natalité s’effondrer : voilà le paradoxe démographique.
Référence
Riggio, J., Baillie, J. E., Brumby, S., Ellis, E., Kennedy, C. M., Oakleaf, J. R., … & Jacobson, A. P. (2020). Global human influence maps reveal clear opportunities in conserving Earth’s remaining intact terrestrial ecosystems. Global Change Biology, 26(8), 4344-4356. Lien vers l’article









